Je viens de lire "l'identité malheureuse", publié par Alain Finkielkraut en 2013.
J'avoue, à ma grande honte, que c'est le premier livre de Finkielkraut que je lis. Je ne connaissais l'auteur que par ses articles et ses passages télévisés. Lors de ses interventions sur le petit écran, je l'ai trouvé parfois intéressant, parfois confus, parfois pénible, en raison de son élocution souvent saccadée qui a tendance à crisper le téléspectateur.
La lecture fut une excellent surprise: un livre passionnant, clair, compréhensible et pertinent.
Un minuscule bémol: il fait référence à l'"ubris", sans expliquer ce qu'il entend par ce mot. Ce qui ne m'a pas gêné, car c'est une notion de la philosophie grecque que j'ai bien retenue de mes cours de lycée. Mais, de la même manière que j'ai oublié des pans entiers de ces cours, j'imagine que certains lecteurs du livre ne se souviennent pas que l'ubris, c'est l'orgueil, la démesure, parfois le sentiment fou de l'homme qui se croit l'égal des dieux. Une courte note de bas de page aurait été bienvenue.
Le livre commence par une chronologie intellectuelle sommaire de l'auteur, le "moment de grâce" de mai 68, la prise de conscience des crimes de l'idéologie par la lecture de Soljenitsyne, l'espoir de "changer la vie" en mai 1981. Puis il décrit l'apparition du "bourgeois-bohème", le bobo, "croisement entre l'aspiration bourgeoise à une vie confortable et l'abandon bohème des exigences du devoir pour les élans du désir". Et au final, une génération qui voulait détruire le "système", ou en tous cas vivre au-dehors, et qui s'en est finalement bien accommodé.
Après avoir passé l'agrégation de lettres modernes en 1972, Finkielkraut enseigne en lycée. Il est animé à la fois par la volonté de transmettre et celle de "descendre de l'estrade", "d'abandonner l'autorité pédagogique", considérée comme une violence; "je voulais enseigner et je ne voulais pas être un maître", résume-t-il.
Le cœur de l'ouvrage est l'analyse de la société qui a tellement changé en quelques décennies, notamment à cause d'une immigration de peuplement. Cette nouvelle société où l'on parle tant de "vivre-ensemble"; alors qu'avant, on n'en parlait jamais, parce que, malgré les luttes qui la traversaient, l'ancienne société était, sans le savoir, "homogène". La nouvelle société a été imposée, s'est modifiée considérablement. Laïcité, conception de la féminité, identité, éducation, racisme anti-français sont examinés par l'auteur. L'incompréhension du phénomène du changement de société est illustrée par cette anecdote où un inspecteur d'académie montre une photo à des élèves, photo sur laquelle on voit plusieurs personnes s'acharner à tabasser un individu; l'inspecteur espère une condamnation de la violence; Finkielkraut ne le dit pas, mais je pense que le fond culturel inconscient de l'inspecteur espère aussi une condamnation chevaleresque de cet acte de lâcheté; au lieu d'une condamnation de l'acte barbare, l'inspecteur obtient une identification des élèves aux agresseurs.
Il reste un point mystérieux dans la pensée d'Alain Finkielkraut: son opposition farouche au front national. Alors qu'il développe une pensée libre et pertinente sur nombre de sujets, ses remarques sur le front national sont d'un conformisme total aux dogmes des médias dominants. Je ne sais pas pourquoi. Soit il a décidé qu'il ne devait pas franchir les limites fixées par le Pouvoir sur la question, parce qu'il n'est pas prêt à en assumer les conséquences. Soit il a un blocage psychologique ou intellectuel sur le sujet.
Nonobstant cette petite critique, on ne peut que conseiller la lecture de ce livre passionnant.
Cible: à partir de lycéens.